Il fallait s’y attendre, un Sapeur Pompier Volontaire (Belge) a engagé un recours devant la Justice de son pays. Des questions fondamentales viennent d’être posées à l’Europe. Est-il soumis aux effets de la directive européenne 2003/88 sur la protection des travailleurs ? Peut-on adopter une définition moins restrictive du « temps de travail » pour les volontaires ? La rémunération des SPV peut-elle s’appuyer sur le notion de temps de travail définit par la Directive ? L’astreinte peut-elle être considérée comme du temps de travail ?
Le sapeur pompier volontaire belge en question doit se tenir à disposition pendant une semaine sur quatre, les soirs et le week-end. Il est rémunéré uniquement pour le temps passé en service actif. Le temps de garde que le sapeur-pompier effectue sans devoir accomplir des tâches professionnelles (appelé « période d’astreinte ») n’est pas rémunéré. Durant ces périodes d’astreinte, il doit rester joignable et, rejoindre la caserne aussitôt que possible et, dans un délai n’excédant pas huit minutes.
Il a introduit un recours devant le tribunal du travail de Nivelles (Belgique), lequel a accueilli la majorité de ses réclamations par jugement du 23 mars 2012. La ville de Nivelles a alors interjeté appel dudit jugement devant la cour du travail de Bruxelles (Belgique).
La Cour du travail de Bruxelles, avant de rendre son jugement a alors posé à l’Europe, quatre questions fondamentales sur l’interprétation de la directive européenne 2003/88. L’avocat général vient d’y répondre le 2 septembre 2017. Reste maintenant à attendre la décision de l’Europe.
Compte tenu des sujets abordés, la position de l’Europe aura très probablement des conséquences pour les Sapeurs Pompier Français.
Rappel au sujet de la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003 :
- La directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail a fixé des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail, applicables aux périodes de repos journalier, aux temps de pause, au repos hebdomadaire, à la durée maximale hebdomadaire de travail, au congé annuel ainsi qu’à certains aspects du travail de nuit, du travail posté et du rythme de travail.
- La directive 2003/88 du 4 novembre remplacé la Directive de 1993, et précise notamment dans sont 4ème considérant : « L’amélioration de la sécurité, de l’hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique« .
- Elle fixe des règles pour la santé et la sécurité des travailleurs, notamment :
- Article 3 : Repos journalier obligatoire de 11 heures consécutives,
- Article 4 : Temps de pause obligatoires toutes les 6 heures, durée définit par le pays (France : 20 minutes),
- Article 5 : Repos hebdomadaire 24 heures consécutives, auquel s’ajoute le repos journalier (11 heures),
- Article 6 : Durée hebdomadaire du travail limité à 48 heures tous les 7 jours,
- Article 7 : Congés annuels minimum de 4 semaines (en France 5 semaines),
- Article 8 : Travail de nuit : Pas plus de 8 heures de travail par 24 heures si travail de nuit,
- L’Europe prévoit des dérogations (article 17) pour certains articles, mais impose alors des compensations.
- L’Europe ne permet pas de déroger à l’article 2 où elle donne ses définitions du temps de travail, de la période de repos, de la période nocturne, du travailleur de nuit, du travail posté, du travailleur posté, de l’activité offshore, du repos suffisant.
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La première question est résumée au point N° 26 des conclusions de l’avocat général : « Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un État membre est libre d’exclure certaines catégories de sapeurs-pompiers de l’ensemble des dispositions assurant la transposition de la directive 2003/88 en droit national, y compris de celles qui définissent les temps de travail et les périodes de repos« .
Pour l’avocat général, les définitions de l’article 2, n’étant pas soumises à dérogation, seules les dérogations de l’article 17 peuvent être éventuellement appliquées. La Directive ne permet donc pas d’exclure une catégorie de sapeur pompier, en l’occurence les volontaires, des effets de la directive européenne.
Autrement dit, et contrairement à ce que soutien le gouvernement belge qui explique que les pompiers réservistes en Belgique ne sont pas qualifiés de « travailleurs » mais ont à la place un statut apparenté au « bénévolat indemnisé », les SPV belges, pour l’avocat général, doivent être considérés comme des travailleurs et de ce fait soumis aux effets de la directive : repos journalier, temps de pause, repos hebdomadaire, durée hebdomadaire, …….
C’est à peu de chose près la position de la France pour laquelle les SPV ne sont pas des travailleurs, qu’ils ne perçoivent pas de salaire, mais au contraire une indemnité :
- Article L723-5 du code de la sécurité intérieure : « L’activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n’est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres« .
- Article L723-9 du code de la sécurité intérieure : « L’activité de sapeur-pompier volontaire est à but non lucratif. Elle ouvre droit à des indemnités horaires ainsi qu’à des prestations sociales et de fin de service« .
- Article L723-15 du code de la sécurité intérieure : « Les activités de sapeur-pompier volontaire, de membre des associations de sécurité civile et de membre des réserves de sécurité civile ne sont pas soumises aux dispositions législatives et réglementaires relatives au temps de travail« .
Si l’Europe devait confirmer l’analyse de l’avocate général dans le cas du SPV belge, un SPV français, comme son collègue SPP serait par conséquent bien soumis, (tous ses temps de travail cumulés) à la limite hebdomadaire de 48 heures de travail pour 7 jours, devrait avoir 11 heures de repos quotidien, ne devrait pas travailler plus de huit heures par 24 heures s’il est travailleur de nuit, etc ……
Mais au fond n’est-il pas logique de considérer les SPV comme des travailleurs ? Actuellement un chauffeur routier par ailleurs sapeur pompier volontaire ne peut plus conduire son camion lorsqu’il atteint les limites fixées par l’Europe, mais en France, il peut venir conduire un camion d’incendie comme sapeur pompier volontaire, parce que l’Etat français ne le considère pas comme un travailleur !
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L’avocat général résume la deuxième question au point N° 29 de ses conclusions : « Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si, dès lors que la directive 2003/88 ne prévoit que des normes minimales, elle peut être interprétée comme ne faisant pas obstacle à ce qu’un État membre adopte une définition moins restrictive du « temps de travail ».
L’avocat général indique que les définitions du « temps de travail » ou de la « période de repos », au sens de la directive européenne, « doivent être interprétées selon des caractéristiques objectives, en se référant au système et à la finalité de ladite directive, puisque seule une telle interprétation autonome est de nature à assurer à cette directive sa pleine efficacité ainsi qu’une application uniforme desdites notions dans tous les États membres . Un État membre s’employant à mettre en œuvre la directive ne dispose donc d’aucune latitude pour adopter une version moins restrictive de l’une ou l’autre de ces définitions« .
Selon l’avocat général, il est donc possible à un état membre d’accroître la protection accordée aux travailleurs par la directive, sans toutefois pouvoir adopter une définition moins restrictive du « temps de travail ».
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L’avocat général présente la troisième question au point N° 39 de ses conclusions : « ……., il me semble que la troisième question est mieux comprise en ce sens qu’elle vise à savoir si la définition de « temps de travail » à l’article 2 de la directive 2003/88 s’applique automatiquement et sans plus de conditions en vue de réglementer aussi la rémunération des travailleurs ayant le droit de bénéficier de la protection conférée par la directive en matière de sécurité et de santé« .
Cette question vise donc à savoir si il existe un lien automatique entre les notions de « temps de travail » et de rémunération.
Pour l’avocate général, un tel lien automatique n’existe pas.
Il est rappelé, selon l’article 153 paragraphe 2 TFUE, que l’Europe a le pouvoir d’adopter des directives fixant des prescriptions minimales visant une harmonisation progressive dans les domaines de la santé et de la sécurité, et des conditions de travail ainsi que de la sécurité sociale et de la protection sociale des travailleurs. Mais le paragraphe 5 de ce même article ne lui permet pas de s’occuper des rémunérations qui restent du seul ressort des états membres.
Il est ajouté : « Toutefois, bien que la directive 2003/88 n’impose pas aux États membres d’appliquer la définition de « temps de travail » aux questions de rémunération, elle ne prévoit pas non plus qu’ils ne peuvent pas le faire. Il s’ensuit qu’un État membre est libre d’adopter une législation nationale prévoyant que les rémunérations d’une ou plusieurs catégories de travailleurs doivent être fondées sur cette définition« .
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La quatrième question, est résumée par l’avocat général au point N° 45 de ses conclusions : « Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il convient d’interpréter la définition de « temps de travail » à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/88 comme s’étendant aux travailleurs, tels que M. Matzak, qui sont engagés pour un service d’astreinte et sont tenus de pouvoir répondre aux appels de l’employeur dans un délai court (dans la présente affaire, huit minutes) sans être contraints en même temps d’être présents physiquement dans les locaux de l’employeur, et dont les possibilités d’entreprendre d’autres activités durant la période en question peuvent être limitées en conséquence« .
Ici, toute la question est de savoir si l’Europe considère le temps d’astreinte comme répondant à sa définition du » temps de travail » de l’article 2 de la directive 2003/88.
Une réponse négative est apportée par l’avocat général.
Il est rappelé les définitions de l’article 2 de la directive 2003/88 :
- Temps de travail : « Toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales« ,
- Période de repos : « Toute période qui n’est pas du temps de travail« .
La distinction est donc binaire : soit le temps est du temps de travail soit il ne l’est pas ! Il n’y a pas d’autre possibilité.
L’avocat général examine ensuite si les trois conditions de la définition du temps de travail (au travail – à disposition de l’employeur -dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions), sont réunies dans le cas du SPV Belge, en regard de la jurisprudence européenne existante.
- Dans l’arrêt SIMAP (affaire C-303/98 du 3 octobre 2000), la Cour européenne a jugé que pour des médecins espagnols, il y avait une différence fondamentale entre deux périodes de leurs gardes. La première où ils étaient présents sur les lieux de travail a été considérée comme du temps de travail, mais la deuxième période, pendant laquelle ils devaient simplement être joignables, en permanence sans pour autant être obligés d’être présents dans l’établissement de santé, la Cour n’a pas considéré ces temps comme des temps de travail, sauf les temps où ils étaient sollicités par leur employeur.
- Dans l’arrêt JAEGER (Affaire C 151/02 du 9 septembre 2003), pour un médecin allemand, la Cour a précisé sa position en ce qui concerne les temps de travail pendant lesquels le médecin était dans les locaux de l’employeur, et pendant lesquels il pouvait se reposer ou dormir dans un lit lorsque ses services n’étaient pas sollicités. Elle a estimé que le facteur déterminant était le fait que le travailleur était contraint d’être physiquement présent sur le lieu déterminé par l’employeur et de s’y tenir à la disposition de ce dernier pour pouvoir immédiatement fournir ses services en cas de besoin. En conséquence, le travailleur ne pouvait pas être considéré comme « au repos » durant les périodes en question.
- Dans l’arrêt DELLAS (Affaire C-14-04 du 5 décembre 2005), en France, pour un éducateur spécialisé dans un établissement recevant sous le régime de l’internat des jeunes gens ou des adultes handicapés, la Cour est parvenue à une conclusion identique à celle formulée dans l’arrêt JAEGER.
- Dans l’affaire GRIGORE (Ordonnance de la Cour du 4 mars 2011), pour un grade forestier roumain qui s’était vu accorder par son employeur un logement de fonction situé dans l’enceinte du cantonnement forestier dont il était responsable, et où il était tenu d’y passer certaines périodes de temps, la Cour a estimé que :
- « l’octroi de ce logement n’était pas, en soi, un élément permettant de conclure que le temps passé là-bas constituait du temps de travail, en raison du seul fait que le logement était situé dans la zone d’activité de M. GRIGORE.
- Toutefois, s’il s’était avéré que celui-ci avait l’obligation de se trouver à la disposition immédiate de son employeur afin de fournir les prestations appropriées en cas de besoin, il aurait été satisfait à la définition de cette notion« .
- Dans dans l’arrêt Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras TYCO (Affaire C-266-14 du 10 septembre 2015), pour des techniciens espagnols exerçant une activité d’installation et de maintenance de systèmes de sécurité permettant de détecter les intrusions et de prévenir les cambriolages, la Cour a estimé que le temps de déplacement passé, par des travailleurs n’ayant pas de lieu de travail fixe ou habituel, entre leur domicile et les clients de leur employeur désignés par celui-ci, constituait du « temps de travail». Elle a rappelé, en particulier, le principe, qui trouve son origine dans l’arrêt Jaeger, selon lequel le facteur déterminant pour établir si la définition est satisfaite est l’exigence d’être présent sur le lieu déterminé par l’employeur et de pouvoir immédiatement fournir les prestations appropriées. En même temps, elle a mis l’accent sur la remarque qu’elle avait incidemment formulée dans l’arrêt SIMAP, selon laquelle la possibilité pour les travailleurs de se consacrer à leurs propres intérêts est un élément susceptible de démontrer que la période en question ne constitue pas du temps de travail au sens de la directive 2003/88.
L’avocat général conclut sur ce point, que l’astreinte ainsi définie ne peut pas être automatiquement considérée comme du temps de travail : « C’est la qualité du temps qu’il passe, plutôt que le degré précis de proximité du lieu de travail qui est requis, qui revêt une importance décisive dans ce contexte. Il appartient à la juridiction de renvoi, en tant que seul juge des faits, de déterminer si la qualité du temps d’astreinte de M. Matzak a été entravée par des restrictions imposées par son employeur à un degré tel qu’il convient de le qualifier de « temps de travail »« .
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En conclusion :
En premier lieu, il ne s’agit « que » des conclusions de l’avocat général chargé de cette affaire, et la jurisprudence de la Cour européenne n’interviendra que dans quelques mois.
Ensuite, et dans l’hypothèse (hautement probable), où la Cour adopte les positions de l’avocat général, les conséquences seraient que les SPV français (dont les conditions de travail présentent sur certains points des similitudes avec celles des SPV belges) seraient considérés par l’Europe comme des travailleurs, mais pas pour la France……
Dans cette hypothèse, la France rejoindra-t-elle les positions de l’Europe pour les SPV, avec toutes les conséquences humaines, opérationnelles et financières que cela implique ?
Oui, sans doute, mais quand ?
Le Conseil d’Etat publie un document intitulé « LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE DROIT DE L’UNION EUROPEENNE », selon lequel :
- « L’effet direct du droit de l’Union a été consacré par la Cour dans l’arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963. Dans cet arrêt, la Cour énonce que le droit européen engendre non seulement des obligations pour les pays de l’UE mais également, à certaines conditions, des droits pour les particuliers, qui peuvent invoquer directement des normes européennes devant les juridictions nationales et européennes ».
- « C’est l’arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964 déjà mentionné qui a consacré le principe de primauté. La CJCE y a jugé que le droit issu des institutions européennes s’intégrait aux systèmes juridiques des États membres qui sont obligés de le respecter. Si une règle nationale est contraire à une disposition du droit de l’Union, les autorités des États membres doivent faire prévaloir la disposition européenne. Pour la CJCE, la primauté du droit européen sur les droits nationaux est absolue : tous les actes européens ayant une force obligatoire en bénéficient, qu’ils soient issus du droit primaire ou du droit dérivé et tous les actes nationaux y sont soumis, quelle que soit leur nature, (CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, C/ 11- 70), donc y compris constitutionnelle« .
- « La reconnaissance de la primauté du droit de l’Union sur les lois nationales découle de la jurisprudence Nicolo du Conseil d’Etat (CE, Ass., 20 octobre 1989, n° 108 243), par laquelle le juge administratif français a accepté de contrôler la compatibilité d’une loi, même postérieure, avec les stipulations d’un traité, en application de l’article 55 de la Constitution« .
- « Le Conseil d’État a progressivement étendu le bénéfice du régime de l’article 55 de la Constitution à l’ensemble des actes de droit de l’Union européenne, qu’il a accepté de faire prévaloir sur les lois : les règlements (CE, 24 septembre 1990, Boisdet, n° 58 657) et les directives (CE, Ass. 28 février 1992, S.A. Rothmans International France et S.A. Philip Morris France, n° 56 776). »
- « La supériorité du droit de l’UE vaut également pour les principes généraux dégagés par la cour de justice (CE, 7 juillet 2006, Société Poweo, n° 289 012 ; CE, 27 juin 2008, Société d’exploitation des sources Roxane, n° 276 848) ».
- « S’agissant de l’effet direct du droit de l’Union, par son arrêt Mme Perreux (CE, Ass, 30 octobre 2009, n° 298 348), le Conseil d’Etat a mis un terme définitif aux controverses issues de la jurisprudence d’Assemblée du 22 décembre 1978, Ministre de l’intérieur c/ Cohn-Bendit (n° 11 604) dont la portée avait été progressivement atténuée. Cette décision reconnaît, à l’expiration du délai de transposition, l’effet direct « vertical ascendant » des directives, même non transposées. En vertu de cette jurisprudence, les particuliers peuvent se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, lorsque l’Etat français n’a pas pris, dans les délais impartis, les mesures de transposition nécessaires« .
On le voit bien dans cette chronologie des jurisprudences, le Droit Français a mis plus de 40 ans ( 1963 – 2009) pour se mettre en exacte conformité avec le droit européen.
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